Amandine (La Serre)
Amandine nous parle de ses multiples activités et de sa rencontre avec le commun de La Serre.
Peux-tu te présenter ? C’est quoi ton activité ici ?
Moi c’est Amandine. Il y a quelques années j’ai crée avec Lou et Vicente le collectif Créature. C’est l’association d’un coiffeur maquilleur, d’une styliste modéliste et moi, designer floral. Enfin j’ai remanié mon métier de fleuriste en designer floral. On avait envie de dépasser les barrières de nos métiers d’artisanat et de créer des créatures. C’est parti de là, de la notion de masque, d’identité, ce à travers quoi on se montre et on se cache, ce qu’on donne à voir à la société. On a commencé à travailler autour du corps et très vite on s’est étendu·e·s au champ du décor et de la scénographie. On fait la direction artistique pour des shootings, de la vidéo, des clips, de la musique, des évènements. On s’est installé·e·s dans les ateliers de la Serre en septembre dernier.
C’est quoi la Serre pour toi ?
Ce qu’offre ce lieu, c’est la possibilité d’aller au delà du rapport financier puisque tu peux réellement t’impliquer dans le lieu à travers sa vision. C’est ça qui m’a paru dès le début hyper intéressant, c’est qu’on implique les occupant·e·s à travers ce qu’ils ont envie de donner et les possibilités qui s’offrent à eux. Par exemple, nous on a eu l’opportunité de créer une fripe. On a fait la première édition de l’Union fait la fripe, où on valorise la récupération de vêtements, on leur donne une seconde vie. Acheter d’occasion permet d’éviter de consommer dans la grande industrie du textile. On s’inscrit dans une démarche durable, dans les valeurs que porte la Serre, tout en amenant une partie de nous. Petit à petit on se rend compte qu’on a envie de créer autre chose, parce qu’on a cette place. A la Serre c’est ça que je trouve assez beau et fort ; tu viens avec ta propre vision, tu pensais être capable de faire qu’une chose, mais en fait t’es capable de faire plein d’autre choses. Il y a d’autres activités, il y a SINGA, la cantine solidaire … A la base, moi j’avais pas de réelle implication dans le « social » mais de voir que c’est possible, qu’il y a des gens qui s’investissent dans ces actions là, ça donne envie. Ça crée un cercle vertueux. Le fait de pouvoir observer tout ce qui émerge comme idées et comme possibilités dans ce lieu permet de créer de nouvelles choses. Moi ça m’a permis de m’émanciper des barrières de ma propre pratique artistique.
Qu’est ce que tu préfères dans ton activité ?
L’action ! C’est faire ! Dans mon activité, il y a beaucoup de phases de réflexion, de conception, d’échanges, de recherches… Ce que je préfère, c’est quand je suis sur le terrain et que je dois porter des trucs, construire, monter, démonter, courir partout, voir tout ce que tu as réfléchi en amont se concrétiser. Ça j’adore, quand t’es sur le qui vive.
Tu proposes aussi des ateliers de soin pour les femmes précarisées. Tu peux nous en parler ?
Oui, c’est un projet qui a vraiment pris naissance à la Serre d’ailleurs. Avec la cantine solidaire, on réfléchissait à faire des journées d’accueil ici, pour des personnes précarisées. Moi j’ai été coiffeuse. Je me suis dit j’ai les compétences, je pourrais proposer de couper les cheveux aux personnes qui en auraient envie ou besoin. J’en ai parlé avec une fille qui fait de la manucure et qui avait aussi cette envie là. On a monté une équipe de bénévoles dans la volonté de créer des journées d’accueil et de soin pour les femmes et minorités de genre précarisées, qui auraient envie ou besoin de pouvoir se sortir de leur réalité. L’idée c’est de créer un réseau de soutien entre femmes, de pouvoir les couper un peu de leur quotidien en leur offrant un moment de plaisir, la possibilité de partager un repas. On a commencé à mettre en place ces journées là. On reprend la cantine solidaire l’espace d’un mercredi par moi, on fait la recup, la transformation, la distribution de repas chauds, de vêtements, de produits hygiéniques et les soins. On aimerait bien à l’avenir proposer des ateliers de création de produits cosmétiques naturels, ou des créations de cartes, des ateliers de dessin ou d’écriture. On est toustes capables de faire quelque chose de nos mains.
Comment tu fais pour atteindre ces personnes ?
Toute la complexité du projet c’est d’arriver à entrer en contact avec les bénéficiaires. L’intention est là, mais les stimuler et les faire venir jusqu’ici c’est compliqué. Ces femmes ont besoin de se retrouver, de s’occuper d’elles, mais comment les toucher ? La Serre c’est parfait comme endroit pour ça, donc j’aimerais vraiment que ça se fasse ici. Après on se laisse la possibilité de réduire l’offre aux soins et venir à elles.
C’est quoi ton rêve pour ce lieu ?
Qu’on l’achète ! Qu’il reste ! Ce que j’apprécie beaucoup ici, c’est la connexion avec les habitant·e·s du quartier. La Serre – quand elle est ouverte - crée une réelle connexion entre les gens. Elle réussit à mixer deux publics entre Jourdan, pas loin de la commission européenne et Flagey, très jeune et étudiant. Entre les deux, y a plein de gens qui n’ont rien à voir. Il y a des habitant·e·s qui demandent à avoir ces échanges là. La Serre offre ça. Ce serait vraiment triste pour les gens du quartier si elle fermait. Mon rêve pour ce lieu c’est que le futur propriétaire se dise « je ne veux pas changer ça » et continue à nourrir tout le travail qui a été fait. On en a besoin de ce genre d’initiatives, surtout en ce moment.
Ca veut dire quoi pour toi faire commun ?
C’est le fait selon moi de réapprendre à observer. Ça ouvre le champs des possibles. Dans un atelier d’artistes par exemple, t’es enfermé·e dans ta pratique. Mais en observant celle des autres, en partageant, en échangeant, te viennent de nouvelles idées et de nouvelles pratiques. Le commun pour moi c’est ça ; c’est réapprendre à échanger, observer, conscientiser la façon de t’impliquer dans les dynamiques collectives. Ça te permet de reconscientiser tes manières de réfléchir et d’agir, pour impulser de nouvelles énergies dans le collectif.
Avec une baguette magique, tu ferais quoi à Bruxelles ?
Je crois que je ferais un jardin géant ! Je prendrais tous les espaces possibles et inimaginables pour les transformer en jardin, et qu’on réapprenne à observer, à comprendre l’impact de ce qu’on fait, quand on plante quelque chose, ce que ça devient, l’observer pousser. Du coup y aurait des potagers partout, tout le monde pourrait se nourrir de ce qu’on ferait de nos mains. Il faut réapprendre à faire de la terre, à observer, à respecter. Il y aurait des vergers, des cabanes, des espaces de repos et de contemplation. On pourrait échanger avec les gens, se retrouver autour du plaisir de jardiner, les jeunes, les vieux. Il n’y aurait plus la barrière de la ville et de la campagne. L’autre jour je passais boulevard Anspach où ils ont refait tout le piétonnier, avec des espaces de verdures cloisonnés avec des barrières en bois. C’est tellement dommage qu’on puisse pas venir utiliser ces espaces pour faire pousser des choses, pour se nourrir, créer un écosystème où le moindre petit insecte a un rôle. C’est ça le jardin. C’est que le moindre petit truc qui pue ou qui a l’air insignifiant a un sens et un rôle. Si tu l’enlèves, tu brises un écosystème. On réapprend à aimer les vers de terre. Pour moi le jardin il a ce sens philosophique qu’on oublie dans notre société.
C’est quoi ta fleur préférée ?
Je dirais la pensée. C’est une fleur qui est un peu vulgarisée comme fleur de rond point mais qui est absolument magnifique, veloutée et sensible. Et le pois de senteur, qui est une fleur sublime. On dirait un voile qui danse, elle a une odeur incroyable, c’est très délicat, très léger, très beau. C’est une liane qui grimpe et qui envahit tout, on dirait des petites jupes de danseuses. C’est mes deux préférées, je m’arrête là sinon on n’a pas fini !
Avril 2021
Photo : Benoît Barbarossa
Pour suivre les activités de Créature, c’est par ici
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