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Mouss (La Buissonnière)

Mouss habite à La Buissonnière. Chez lui nous avons discuté du projet Moussap, de vie en communauté et de la situation des personnes sans papiers en Belgique.

Salut Mouss. Peux-tu te présenter ? 

Je m’appelle Moustapha Koma. Je suis d’origine sénégalaise, j’ai 28 ans. Je suis à Bruxelles depuis maintenant trois ans et demi.


Comment t’es arrivé ici ? 


J’ai été en Italie, je suis passé par la France et après je suis arrivé ici avec des réfugié·e·s éthiopien·ne·s et érythréen·ne·s. J’ai suivi la meute. En fait je savais même pas que j’allais aller en Belgique. Je les ai suivi, je suis arrivé ici en mars 2018 et depuis lors j’ai pas quitté le pays.

 


Et depuis ton arrivée en Belgique ?
J’ai été hébergé par des gens à gauche à droite, jusqu’à ce que je rencontre Guillaume, puis Antoine, puis Alan, et là j’ai été en contact avec Communa. Depuis je fais partie de l’écosystème. Je bénéficie d’un logement de la part de Communa. Avant j’étais à Deux Ponts, rue des Deux Ponts à Ixelles, près de la Serre.  Puis Deux pont a fermé et j’ai trouvé une place ici.

 

C’est quoi la Buissonnière ? Qu’est ce que ce lieu représente pour toi ?
C’est un ancienne école catholique. Aujourd’hui c’est devenu à la fois des logements et des bureaux. Ça fait trois ans. On est 7 personnes à habiter dans la maison. On s’entend toustes très bien, c’est facile entre nous. Le message passe vite. J’ai appris beaucoup de choses en vivant en communauté.

 

Comme quoi ? 

C’est un choc des cultures. J’ai pas la même culture que Max, Sam, Alan et Isma. C’est le brassage et l’interculturalité qui fait la richesse. J’ai beaucoup appris à vivre avec des belges, un français, un marocain. A force de vivre ensemble on comprend certains détails sur les personnes, sur leur culture. On apprend les un·e·s des autres, on trouve des compromis. On fait des blagues sur les nationalités de chacun. On m’a donné tellement de surnoms ici, je contrôle plus rien ! J’aime bien taquiner les gens, les bousculer pour qu’ils sortent de leur cocon, de leur zone de confort. On met les choses sur la table, c’est comme ça qu’on arrive à appréhender une personne sous tous ses aspects.

 

C’est quoi selon toi les meilleurs aspects de la vie en communauté ? Ca veut dire quoi pour toi faire commun ? 

C’est une bonne question. Pour moi l’idée du commun c’est d’abord le compromis. La vie en commun c’est se dire ; ça aurait été moi seul dans mon appartement je l’aurais pas fait. Mais là il faut nettoyer la cuisine, faire le ménage, cuisiner, et partager ça avec les gens… C’est ça pour moi la vie en communauté. Sortir de ta zone de confort, élaborer une organisation dans laquelle chacun·e s’y retrouve. Tu vas t’habituer à faire des choses que tu n’as pas l’habitude de faire. Trouver des compromis, c’est accepter l’autre malgré les différences d’éducation, les différences culturelles. Te dire qu’elle, c’est une personne comme moi. A partir de là, le brassage devient possible. Tout le monde devient accessible. Quand les personnes sont accessibles on se laisse aller, on se laisse découvrir, et la discussion devient plus facile. Ça devient plus fluide. Il faut accepter les gens et trouver des compromis. Je sais que c’est plus facile à dire qu’à faire, mais c’est ça pour moi la vie en communauté.

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Tu veux nous parler un peu de ton activité ? 

Bien sûr. Comme je te le disais, quand je suis arrivé en Belgique, j’ai bénéficié de l’aide de Communa à travers le logement. C’était le plus difficile à avoir vue ma situation. Quand tu es dans un milieu adéquat, ta créativité se laisse aller. Avoir un endroit stable, même pour des durées assez courtes ça reste une chance que beaucoup n’ont pas. Ça m’a vraiment permis de mener des réflexions, de profiter de mon énergie. En tant que jeune j’ai des idées, des visions et j’ai essayé de mettre ça en valeur. A partir du moment où j’ai pris conscience que l’entrepreunariat c’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup, je me suis lancé en essayant de valoriser ma culture en Belgique. Cette idée, c’est par des discussions à la Serre qu’elle est venue. Je m’emmerdais à la maison, je me disais « j’ai pas de boulot, pas de papiers pour travailler … soit tu fais quelque chose pour t’en sortir ou alors rentres chez toi parce que tu peux pas rester ici sans rien faire ». J’ai lancé une boisson qui s’appelle le Moussap. C’est une boisson à base de fleur d’hibiscus et de menthe, communément connue au Sénégal sous le nom de bissap, que moi j’ai appelé Moussap.



Ce projet est lancé en Belgique depuis deux ans maintenant. C’est un projet à la fois économique et social : économique car il faut que je travaille, que je fasse quelque chose. Aussi parce que je veux enlever ces clichés qu’on a souvent sur le visage des migrant·e·s, l’idée qu’ils et elles viennent ici pour profiter de l’économie du pays alors qu’on ne sait pas que derrière il y a des gens qui ont des réflexions, des idées, des choses à offrir à la Belgique. C’est aussi montrer une autre image de la personne migrante. Certes il·elle n’a pas de papiers, certes administrativement il·elle n’est pas le·la bienvenue. Mais à partir du moment où il·elle est là il faut laisser sa créativité s’exprimer. L’idée de tout projet c’est d’avoir un impact positif sur la société. Economiquement on contribue à la vie de la Belgique, on peut être migrant·e et contribuer positivement à la société. 



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Sur l’aspect social, ce projet m’a permis de rencontrer beaucoup de personnes. Ça m’a aussi permis de prendre conscience de plusieurs aspects de la société. C’est pourquoi j’ai décidé de verser 5% de mes bénéfices à des associations en Belgique qui militent pour le logement pour tous. Moi, des initiatives comme Communa ça m’a beaucoup marqué. Je me suis dit si mon projet peut servir à quelque chose, 5% ça ne me coute rien. Ça vient de l’envie d’aider les gens dans le besoin, les gens qui traversent la même situation que moi. J’estime qu’il y a des gens qui ont de très belles idées de projet mais qui ne savent pas comment s’y prendre. C’est un peu pour aider ces gens là à bénéficier de l’encadrement nécessaire pour mener à bien ces projets. 



Le projet Moussap c’est aussi un moyen d’intégration culturelle pour moi. Je valorise ma culture ici à travers un produit qui se consomme chez moi. Intégration culturelle dans la mesure où moi j’ai envie de connaitre la culture des belges. Ici, j’apprends à travers la cohabitation, les amitiés, les échanges que j’ai, mais aussi je veux que les belges connaissent ma culture. J’ai envie que les gens apprennent des choses de chez moi. C’était ça l’idée derrière le projet : intégration économique, sociale et culturelle.

 



C’est quoi tes conseils pour réussir un bon bissap ?
La recette est simple, c’est une infusion d’hibiscus avec de la menthe. Tout dépend de l’équilibre que tu vas trouver entre les différents ingrédients ; l’hibiscus qui est très acidulé, le sucre et la menthe. La menthe doit être bien conservée sinon elle prend une très mauvaise odeur.
 

Quelles difficultés tu rencontres au quotidien avec le fait de ne pas avoir de papiers ?

La plus grande difficulté pour moi c’est les papiers. Sans les papiers déjà, je ne peux pas faire décoller le projet comme je le souhaite. Mon statut actuel ne me permet pas de créer une entreprise en Belgique. Je ne peux même pas être employé dans une entreprise légalement. Aujourd’hui ce projet me tient à coeur, j’y ai mis beaucoup d’énergie. Cette situation de sans papiers ça me ferme toutes les portes qui me permettraient d’avancer et de donner un coup de boost au projet. C’est un gros frein. Le problème de logement stable aussi. Tu vois, avoir un espace où dormir c’est bien. Mais quand tu deviens un serial déménageur là ça devient très compliqué. Tu ne développes pas d’attaches aussi profondes que tu l’aurais souhaité avec les gens avec lesquels tu as vécu. Moi je suis quelqu’un qui aime bien l’entourage. Quand l’entourage est bien et que l’énergie est positive, ça te pousse, ça te donne de la motivation. Quand tu déménages souvent, tu développes pas ça. Tu dois tout le temps changer d’ami·e·s. Mais moi ça me gêne. Tout le temps déménager c’est pas bien, je le souhaites à personne, c’est horrible. J’ai l’impression de laisser les gens derrière moi, comme s’ils étaient rien. C’est l’impression que ça me donne, à chaque fois que je dois me séparer des gens avec qui je m’entends bien c’est comme si je m’en séparais. J’ai l’impression de jeter les gens à la poubelle comme s’ils ne valaient rien, ça me gêne, et ça me fatigue beaucoup.  

  

Avec une baguette magique, tu changerais quoi à Bruxelles ?

Je crois que si j’avais un super pouvoir, il n’y aurait personne qui dormirait dehors. Je planterais des immeubles partout à Bruxelles, pour que les gens y vivent. Ça me fend le coeur de voir les gens dormir dehors. L’autre jour je lisais dans le journal une femme enceinte qui dort dehors. Mais après ça c’est fini. La ça ne dérange plus personne ? Ce serait ça la première chose que je ferais. Utiliser les bâtiments inoccupés pour loger les gens, jusqu’à ce que chaque personne ait un toit en Belgique. Et j’ouvrirais des restos du coeur partout à Bruxelles pour que tout le monde mange à sa faim. C’est pas normal de laisser dormir les gens dehors en hiver. Faut être vraiment cynique et sadique pour laisser faire ça. Dormir dehors en  hiver en Europe, je l’ai fait et c’est les pire moments de ma vie.


 



 

Mouss

Juillet 2021. Photos : Benoît Barbarossa
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